Jusqu’alors la Turquie et Israël étaient les deux pièces maîtresses de l’OTAN en Méditerranée. Les avions américains et israéliens décollaient des aéroports turcs durant la guerre irakienne et la Turquie jouait la carte anti islamiste. En apparence c’est l’attaque d’un convoi maritime humanitaire auquel participaient nombre de Turcs par la marine israélienne qui a provoqué la rupture. Mais derrière cette apparence se cache le début d’une « guerre du gaz » entre Israël et le Liban.
Israël un pays pauvre en énergie
Israël a un besoin urgent de gaz. L’Égypte lui assurait 43 % de ses besoins. Depuis la chute au début de l’année du régime d’Hosni Moubarak, le pipeline reliant les deux pays a été saboté à trois reprises dans la péninsule égyptienne du Sinaï par des groupes extrémistes islamiques. Les nouvelles autorités égyptiennes ont en outre annoncé leur intention d’ouvrir une enquête sur des soupçons de corruption liés aux contrats gaziers conclus avec Israël. Le gaz israélien a donc connu une hausse vertigineuse contribuant au malaise social qui a précipité des centaines de milliers de travailleurs israéliens dans la rue. L’exploitation des réserves en Méditerranée est devenue une nécessité vitale pour assurer le fonctionnement des centrales électriques israéliennes, qui fonctionnent à hauteur de 40 % avec du gaz naturel.
La découverte de gisements gaziers immenses
Or des gisements de gaz offshore estimés à 700 milliards de mètres cubes, ont été découverts essentiellement au large d’Israël. Ces champs gaziers, dont la surface n’est pas entièrement déterminée, s’étendent également dans les eaux libanaises et chypriotes. En décembre dernier, Tel-Aviv et Nicosie ont signé un accord délimitant leur frontière maritime afin de faciliter la prospection. Mais la Turquie qui occupe la partie nord de Chypre conteste le tracé israélien. Le conflit va désormais être soumis à l’ONU. Néanmoins Israël a décidé que toute attaque turque visant des plateformes gazières en activité pour le compte de compagnies israéliennes et américaines serait considérée comme une « agression contre la souveraineté israélienne » et déclencherait immédiatement des représailles. Ankara y a répondu par des sommations bellicistes qui ont vivement contrarié les instances européennes.
La Palestine comme argument
Début septembre, Ankara a annoncé un renforcement de sa flotte à l’est de la Méditerranée. Ce déploiement fait partie des mesures de rétorsion prises contre Israël après son refus de présenter des excuses pour la mort de neuf Turcs au cours de l’assaut mené par Tsahal, le 31 mais 2010, contre un ferry qui se dirigeait vers Gaza. Le premier ministre Recep Tayyip Erdogan, dirigeant du principal parti religieux, a déclaré que des « navires de guerre turcs » escorteraient désormais des embarcations turques qui achemineraient de l’aide vers Gaza : « Nous ne permettrons plus que ces bateaux soient la cible d’attaques de la part d’Israël comme cela a été le cas avec la flottille de la liberté, car Israël fera alors face à une riposte appropriée ».
Le vieux rêve ottoman
Le discours belliqueux du gouvernement islamo-conservateur illustre la volonté d’Ankara d’étendre son influence sur le périmètre de ce qui fut l’Empire ottoman. Recep Tayyip Erdogan a rappelé la présence turque « dans ces eaux à travers l’histoire ». L’Empire Ottoman s’étendait, faut-il le rappeler sur l’ensemble du Moyen Orient, sur l’Afrique du Nord et sur les Balkans. Mais derrière le rappel du passé, se cache la nécessité pour toutes les puissances mondiales de mettre la main sur les sources d’énergie qui dès 2030 commenceront à se tarir. Année après année, le monde retrouve ses vieilles frontières refondées après la Seconde guerre mondiale et la Méditerranée redevient un champ de bataille potentiel, schéma qui n’a guère varié depuis l’Iliade et l’Odyssée.
Gabriel Xavier Culioli