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Sondages : ils en disent long mais pas plus !

jeudi 6 septembre 2012, par Journal de la Corse

L’IFOP a récemment publié quatre enquêtes d’opinion réalisées depuis les événements d’Aleria, qui permettent de mieux connaître l’état réel de la société insulaire à des moments clé.

La solidarité exprimée par les Corses aux militants de l’ARC ayant occupé la cave Depeille en août 1975, est souvent présentée comme la manifestation d’une sympathie envers la cause autonomiste. Il est aussi communément admis que la Corse des années 1970 était en proie à une inquiétude quant à son avenir. Il se dit enfin que le rejet du clan ainsi que la volonté de réappropriation de la langue et de la culture corses amorcée au début des années 1970, influaient considérablement sur les choix politiques. Or la réalité était quelque peu différente. D’abord, après les événements d’Aléria, près de deux tiers des Corses interrogés (61%) souhaitaient un statu quo institutionnel ; c’est-à-dire que la Corse restât un département ne se différenciant aucunement des autres départements français. Seuls 31% se prononçaient en faveur d’une évolution vers une « certaine autonomie » qui relevait d’ailleurs essentiellement d’une aspiration à la décentralisation. Ensuite, une majorité (60%) déclarait que la situation de l’île s’améliorait et seule une minorité (16%) exprimait des craintes concernant l’avenir. A la lumière de ces chiffres qui reflétait l’état de l’opinion, il apparait que le soutien populaire dont ont bénéficié les occupants de la cave Depeille a davantage résulté d’un rejet des privilèges accordés aux rapatriés d’Algérie (et sans doute aussi de l’envoi d’un véritable corps expéditionnaire par le ministre de l’Intérieur d’alors), que d’une adhésion significative à l’autonomisme. D’ailleurs, 63% des Corses interrogés estimaient que les pieds noirs réussissaient en Corse parce qu’ils étaient favorisés par les pouvoirs publics. Il aura donc fallu la création du FLNC, les années de répression orchestrées par la Cour de Sureté de l’Etat et le refus de toute réforme jusqu’en 1981, pour que l’autonomisme et la lutte de libération nationale à vocation indépendantiste acquièrent une place notable au sein de l’opinion insulaire. La Corse d’Aleria était davantage en quête de décentralisation et d’équité que d’autonomie.

Un souhait de force juste de la loi

En 1998, l’assassinat du Préfet de région Claude Erignac a provoqué une demande d’état de droit. La fermeté adoptée par l’Etat après l’action des « Anonymes » et la « politique d’état de droit » ont d’abord bénéficié d’un réel soutien populaire. Il était inexact d’affirmer, comme l’ont fait trop d’acteurs politiques continentaux ou de médias parisiens, que les Corses étaient opposés à l’application de la loi. Ce sont les dérives répressives (interpellations « musclées », détentions abusives, tracasseries administratives et fiscales…) et l’action du préfet Bonnet - en particulier dans le cadre de l’affaire de la paillote « Chez Francis » (tentative d’incendie de l’établissement par un commando de gendarmes agissant sur ordre du préfet) - qui ont provoqué un rejet de la « politique d’état de droit ». Alors qu’au lendemain de l’assassinat de Claude Erignac, 65% des insulaires jugeaient insuffisants les moyens légaux utilisés pour lutter contre le terrorisme, ils n’étaient plus que 50% à être de cet avis après « les exploits » du préfet Bonnet. De plus, 67% des sondés estimaient que la responsabilité du ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, était importante et 60% d’entre eux mettaient en cause le cabinet du Premier ministre Lionel Jospin. La Corse de l’après Erignac était donc loin de rejeter l’état de droit. Elle aspirait à la force juste de la loi. C’est en imposant une forme d’Etat policier et en ne contrôlant pas l’action de son principal représentant, que l’Etat a créé les conditions d’un rejet significatif et durable de sa légitimité, ou du moins d’une forte défiance à son encontre. Cela explique en partie qu’aujourd’hui, étant confrontés à une dérive criminelle qui s’affirme et gangrène la société, beaucoup de Corses hésitent encore à demander une intervention massive et énergique de l’Etat.

Un souhait d’évolution institutionnelle ?

Avant les élections législatives de juin dernier, les Corses interrogés ont fait apparaître que le chômage et le coût de la vie étaient leurs principales préoccupations. 39% des sondés ont en effet mentionné la création d’emplois comme étant la priorité à prendre en compte par les pouvoirs publics et 29% ont fait savoir que la « vie chère » représentait leur inquiétude majeure. Ces enseignements suggèrent que les insulaires seraient à cent lieues de s’inscrire dans le débat institutionnel qui, depuis le début de l’été, domine la vie politique ou du moins y occupe une place majeure (dans le prolongement des échanges concernant le PADDUC). Faut-il pour autant éluder ce débat ou considérer que les Corses sont hostiles à toute évolution du cadre institutionnel de l’île ? Convient-il de renvoyer aux calendes grecques les questions que soulèvera la Commission Chaubon ? Est-il opportun de ne pas prêter attention aux intentions du Président du Conseil exécutif d’aller dans le sens d’une autonomie de l’île ? Est-il sensé de ne pas prendre en compte les progrès électoraux considérables des nationalistes durant les trois dernières années ? Répondre oui à ces questions relèverait d’un choix inopportun. Cela consisterait à faire dire au sondage susmentionné ce qu’il ne dit pas. En effet, si ce dernier indique nettement que les Corses sont particulièrement préoccupés par les problèmes du quotidien, il ne révèle en rien qu’ils sont favorables ou hostiles à une évolution institutionnelle. Les sondages en disent long mais pas plus !

Pierre Corsi

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