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Pourquoi une fondation de l’Université Pasquale Paoli ?

jeudi 19 juillet 2012, par Journal de la Corse

La société de demain sera une société de connaissance…

Les universités, lieux de production de la science, ne sont plus seulement des appareils idéologiques d’État mais sont devenues des enjeux économiques et sociaux, des institutions de la société civile, qui doivent dépasser le clivage traditionnel public/privé, ainsi que le clivage recherche fondamentale/recherche appliquée. La bataille de l’intelligence change de formes, de nouveaux réseaux se mettent en place. C’est la différence qui rassemble, sans nécessité de se ressembler. L’articulation du local et du mondial est en cours de bouleversement : il est temps de reconnaître que les lieux de création des savoirs et des pouvoirs sont multiples. Nous ne vivons plus aujourd’hui dans des univers homogènes et clos : chaque individu est porteur de plusieurs types de comportements acquis dans un environnement multiple et diversifié (famille, école, médias, tribu, métier, loisirs, internet, etc.)

Le savoir s’accroît quand il se partage

Le partage démocratique du savoir doit s’opérer de plus en plus rapidement, le besoin de formation initiale et continue augmente sans cesse. C’est pourquoi l’université doit s’aider d’institutions, telle la Fondation, qui créent de nouveaux liens entre les savoirs et la société. Le savoir ne se mesure pas en termes de rentabilité économique immédiate : sa valeur sociale domine sa valeur économique : il s’accroît quand il se partage. La science est de ces objets, rares, qui s’accroissent en se partageant. Le savoir est un bien commun, si l’on sait lier le particulier et l’universel, le local et le global. Seules les structures innovantes parviendront à maîtriser leur environnement économique : chaque entreprise qui souhaite innover aura besoin de s’appuyer sur un progrès technico-scientifique, surtout s’il s’agit d’une PME ou d’une toute petite entreprise, comme c’est le cas pour la majorité des entreprises en Corse. Il est donc essentiel de favoriser l’innovation. Au-delà de toute centralité administrative et juridique, pourra se créer une solidarité sur la durée et dans la liberté, faisant dialoguer de manière originale le pluriel et le singulier.

Renforcer le local

Longtemps, l’État, par sa puissance de domination symbolique, a imposé, du moins en France, un type de développement centralisateur, uniformisateur, centripète, normalisateur. Il en induisait des comportements économiques et sociaux contraints, conformes à une norme rigide. Aujourd’hui, le contexte a changé profondément ; la mondialisation, dont on mesure tous les inconvénients, présente en revanche l’avantage, en contrepartie, d’inciter au renforcement du local. Les rapports entre proximité et univers sont en train de changer de nature ; c’est à travers le proche qu’on atteindra l’universel, qui, lui-même, permettra de comprendre le proche.

Une île est au milieu

Une île n’est ni au centre, ni à la périphérie : elle est au milieu car elle est un milieu. L’insularité induit des rapports originaux au territoire, aux frontières, à la géographie, ainsi qu’aux échanges espace/temps (dans une petite île, l’espace domine le temps). Une île contient le monde et satellise la terre autour d’elle. Elle est à la fois clôture et seuil.

Quel peut être le rôle de la Fondation dans une telle situation ?

La Fondation est un lieu hybride, émanation d’une université autonome, fait de volontarisme, reposant sur la règle de la croissance continue de la connaissance. C est une institution relais, de liaison, visant à élargir l’espace public du savoir. C’est une ambassadrice de l’université vers le monde et du monde vers l’université, pour réduire les écarts et les décalages inévitables, pour éviter les ruptures et les discontinuités trop violentes. La Fondation peut ainsi favoriser la mixité entre le monde économique et le monde scientifique, entre le marché et le savoir, entre le privé et le public. La Fondation veut participer au développement d’un esprit du collectif insulaire, du service public corse. Elle doit favoriser les raccords, les raccordements entre les différents champs sociaux dont chacun a sa logique propre (champ scientifique, champ économique, champ politique, champ culturel, etc.) mais qui doivent tous participer à l’émergence de nouvelles controverses, de nouveaux agencements propres à favoriser le développement social insulaire. C’est un espace de liberté, de confrontations scientifiques et d’expérimentation, une interface des solidarités, qui montrera tout l’intérêt que représente une université pour les acteurs sociaux insulaires.

Un lieu d’échanges

La Fondation n’a pas d’autre ambition que de devenir un lieu d’échanges, un espace de porosité, une surface de passage, de transfert, de transhumance : en quelque sorte un pont, une passerelle ; car cette institution originale ne se situe ni dans le monde du pouvoir ni dans une relation de marché ; elle peut donc tisser des liens sereins, sans agitation ni agressivité. Elle peut devenir ce lieu significatif, où l’on soit capable de mesurer sans polémique, avec distance, patience et sérénité, tout ce qui pourrait, en toute confiance, développer la créativité insulaire. Au fur et à mesure de son développement, la Fondation sera une aide pour que les choses prennent sens, malgré la complexité du monde. Car la difficulté réelle c’est celle que l’on découvre en agissant ; il ne faut pas que cette complexité soit un barrage, une barrière infranchissable pour l’action, qui vous arrête et vous empêchent d’agir en citoyens, c’est-à-dire avec les autres, en même temps qu’eux. Car il s’agit de construire ensemble une identité qui comprenne en son sein l’altérité. Organisons une véritable solidarité sur l’île et pour l’île, au-delà des faux critères de simple performance financière. Il n’est pas de développement durable d’un territoire sans progrès culturel et scientifique de sa population. À partir de la Fondation de l’université Pasquale Paoli, pourront se tisser des réseaux, inattendus qui en donnant un sens au monde et aideront chacun à construire sa liberté.

Aider les Corses à mieux vivre ensemble

À terme, la Fondation doit notamment aider à ce que les Corses, ceux de l’Île et ceux de la diaspora vivent mieux ensemble. La diaspora représente un territoire virtuel de près d’un million de personnes : elle dispose d’un potentiel humain et économique considérable : des actions solidaires peuvent être menées, bâties sur une confiance mutuelle. L’île manque incontestablement de visibilité économique et sa visibilité politique est largement brouillée, empreinte d’une certaine défiance qu’il s’agit de combattre.

Si l’on veut défendre le peuple contre les prédateurs, développer une économie d’abeilles, lutter contre les acteurs animés par l’"esprit frelon", refuser de s’abandonner à la tentation toujours vivace de repli sur soi et d’isolement, la Fondation est un atout qui permettra de prendre appui sur l’insularité pour bâtir des rapports sociaux nouveaux et étendus. Car la Fondation, au-delà du service de l’université est au service de toute l’île, et toutes celles et de tous ceux qui ont un attachement pour la Corse. La logique scientifique est fondamentalement une logique de l’accueil, de l’hospitalité, du partage, du droit d’accès pour tout un chacun

La Fondation de l’université de Corse pourrait créer ce que j’appellerais volontiers, à l’image du Collège de France, un « Collège de Corse », où des personnalités scientifiques de grand renom viendraient exposer le dernier état de leurs recherches et donner leur analyse sur l’orientation scientifique future de l’université.

Nous, les universitaires, avons partie liée avec la progression de l’hybridation des ressources, car nous avons intérêt à ce que le savoir que nous portons soit expansif, créatif, porteur de progrès et d’identité forte. Donner, recevoir, rendre : cela fait référence davantage au jeu de go qu’au jeu d’échecs. Il ne s’agit pas de terrasser l’adversaire pour gagner. L’essentiel c’est de bâtir son territoire pour y vivre bien et y laisser vivre l’autre en toute liberté, bien plus, pour le faire vivre mieux. Ce subtil jeu d’équilibre construit un espace social comme espace de biens publics, collectifs, communs

Imaginer des projets innovants

La crise peut être une opportunité pour faire démarrer l’économie corse autour du développement local, avec un ancrage à partir de petits projets innovants. Sans oublier que l’utopie est aussi un moteur de l’action : l’imaginaire symbolique, qui réconcilie l’ici et l’ailleurs est une dimension essentielle de la construction sociale. Les faits quand ils sont énoncés, changent totalement la manière que l’on avait de penser ce que l’on pense, à condition que l’on sache repérer les signaux, pour inventer un ordre démocratique spécifique que réconcilient l’insularité et l’universel. La Fondation peut participer à construire des solidarités qui feront reculer l’affairisme, l’argent tout puissant, et l’ignorance. On ne construit ni un pouvoir institutionnel ni une société contre un peuple, en le négligeant ou en l’abandonnant. La Fondation peut aider le peuple vivant en corse à maîtriser son destin, à tracer des pistes vers l’avenir mais en fonction de l’histoire. La Corse est une île méditerranéenne. La mer y est une barrière mais aussi un pont. Le vide de l’ailleurs habite le plein de l’île. La Méditerranée est une aire de mélanges et d’intégration des différences, un carrefour qui a toujours vécu en assimilant le changement. Fondation, un nom magique, une magnifique dénomination qui évoque le sol, le socle, la pierre, la solidité : œuvrons ensemble pour que cette Fondation universitaire participe pleinement à la construction d’une Corse solidaire, fraternelle, et heureuse.

Francine DEMICHEL, Présidente de la Fondation de l’Université de Corse, Pasquale Paoli.

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