La Corse doit faire avec le triple D. Cette notation détestable s’appuie sur des raisons et des orientations qui, prises individuellement, peuvent apparaître très estimables.
La France va perdre son triple A (ce sera peut-être déjà acté quand vous lirez ces quelques lignes). La page de plusieurs mois de déclarations volontaristes et de contre-vérités optimistes sera alors tournée. Le président Sarkozy, son gouvernement et sa majorité apparaîtront comme autant de « rois nus ». Nous ayant conté moult fadaises au fil des sommets européens, ils auront été rattrapés par la réalité. Standard and Poor’s, Fitch Ratings Ltd. et Moody’s auront apporté la cruelle confirmation que, dans un monde dominé par la recherche du profit maximal, les Etats et les gouvernants, s’ils ne refusent pas le pouvoir des agences de notation ou du moins ne le combattent pas, ne sont que des jouets ou des valets de la spéculation financière. Le président Sarkozy et ses partisans auront même mangé leur chapeau et leur dignité jusqu’à l’extrême. Après avoir prétendu à la face du monde et des Français que le triple A, qui était inconnu du grand public, relevait du fleuron national et de l’intérêt majeur du pays, ils ont assuré, une fois sa perte devenue probable, qu’il était quasiment inutile de le conserver. Pourtant, si l’on accepte de se plier aux contraintes de la main invisible du marché comme le font aujourd’hui les gouvernants français, être privé d’un triple A n’est ni anodin, ni indolore D’une part, on perd de sa superbe. Plus question d’invoquer la qualité de la signature de la France. D’autre part, lesté d’une dette de 1700 milliards d’euros, d’une croissance en panne et d’une incapacité de relancer l’économie productive, la France prend le chemin d’un endettement toujours plus lourd à porter car, avec la perte du triple A, les nouveaux emprunts coûteront plus chers. Tout cela devrait inciter les élus de la Collectivité Territoriale à s’interroger sur la pertinence de s’en tenir au triple D (Déni des problèmes, Dispersion des ressources, Dichotomie dans l’exercice des compétences) appliqué aux choix budgétaires. Une notation qui, il importe de le souligner, n’est pas directement imputable à l’équipe majoritaire actuelle, mais est le produit d’années de gestion marquées par l’électoralisme, l’inféodation idéologique et le clientélisme de toutes les familles politiques, qui ont conduit à différer la résolution de problèmes vitaux. Les récents débats budgétaires ayant eu pour cadre l’Assemblée de Corse, ont d’ailleurs montré que si la notation triple D commençait à apparaître inacceptable à tous, il n’existait pas encore une véritable volonté politique et consensuelle d’y renoncer. Ainsi, tout en soulignant avec raison que le contexte économique international est récessif et que le gel des dotations de l’Etat impacte très défavorablement les finances de la Région, le Président du Conseil exécutif s’est davantage attaché à rassurer qu’à dessiner une logique nouvelle. Quant aux opposants, s’ils ont dénoncé une situation qu’ils jugent très préoccupante, le spectre de la faillite a même été évoqué, ils n’ont pas avancé de solutions concrètes, faute de se résoudre à affronter les difficultés de la réalité économique et sociale. Pourtant les recettes stagnent et les obligations incontournables de dépenser augmentent, ce qui rend impératif, comme l’a d’ailleurs dit et répété Paul Giacobbi, de faire des choix budgétaires stricts, de maîtriser les dépenses de fonctionnement et de limiter le recours à l’emprunt.
Le cuir solide du triple D
Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Le triple D s’est avéré avoir la peau dure. Tout en étant conscient qu’il convenait de le liquider, chaque groupe politique a contribué à le maintenir bien vivant en invoquant des raisons et des orientations qui, prises individuellement, pouvaient apparaître très estimables. Par exemple, la majorité territoriale a défendu bec et ongles la manne de 120 millions d’euros attribuée aux départements pour les aider à investir dans le réseau routier secondaire alors que beaucoup reste à faire pour moderniser et sécuriser les grands axes relevant des compétences de la CTC. Beaucoup, particulièrement en milieu rural, sont toutefois en droit de penser que cette dispersion de ressources et cette dichotomie dans l’exercice des compétences, représentent avant tout un acte fort de solidarité territoriale. Par exemple également, en acceptant de continuer à prendre en charge annuellement le déficit abyssal du transport ferroviaire, la plupart des élus ont donné le sentiment d’opter pour un déni des problèmes. Mais il peut aussi être avancé qu’ils ont opéré des choix de développement durable, de service public et de maintien de l’emploi qui contribueront à l’essor économique, au bien-être collectif et à la cohésion sociale. On peut aussi considérer que financer le départ du Tour de France ou dépenser beaucoup d’argent pour promouvoir la langue corse, pourrait relever d’un déni des problèmes vitaux ou d’une dispersion des ressources. Mais comment ne pas susciter pour réponses, non dénuées de pertinence, que le Tour est une vitrine formidable pour la Corse et que parler sa langue est indispensable à la pérennité d’un peuple ? On le voit, outre avoir le cuir solide, le triple D peut afficher du répondant. Alors, où situer le juste équilibre entre la nécessité de le dégrader à défaut de pouvoir le liquider, et celle de faire avec. Cela apparaîtra probablement avec l’approche de deux dossiers majeurs : la fiscalité, les transports extérieurs (aérien, maritime). Le traitement du dossier fiscal déterminera le niveau de prélèvement qu’est disposée à imposer toute gouvernance territoriale pour augmenter ses recettes. Le traitement du dossier Transports Extérieurs révèlera le niveau de maîtrise des dépenses pouvant résulter d’une adaptation sociale (redéploiement de l’emploi et de la formation vers d’autres activités), d’une résistance aux lobbies (fournisseurs et sous-traitants) et d’une estimation raisonnable des besoins des usagers (réduction ou non des services publics aérien et maritime à une seule destination de bord à bord, desserte de moins de ports et aéroports insulaires. Certes, s’emparer de ces dossiers ne se fera pas dans l’allégresse mais il serait surprenant que la nécessité faisant loi ne l’emporte pas un jour prochain sur le triple D. Cette notation ne mourra pas de sitôt mais il est désormais illusoire de considérer qu’elle puisse échapper à une dégradation.
Pierre Corsi