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LE JANSÉNISME EN KIT

jeudi 7 juin 2012, par Journal de la Corse

Le roman de Pierre-Alain Mayol, « Valle di Paraso » mérite l’attention. Son héroïne, à la fois actrice et narratrice, a toute la séduction d’une jeunesse malheureuse.

Emilie Acquaviva orpheline de mère passa une enfance que l’on devine mélancolique. Dans une grande maison de maître auprès d’un père dont elle est la raison de vivre. Le début du roman nous la montre en fleurs, palpitant à l’idée d’épouser son cousin Numa et de devenir « la première dame de la Balagne » ! Entre une héroïne épanouie dans une chatoyante « corolle d’étoffe », un cousin aux yeux bleus, un salon d’apparat que l’on n’ouvre que pour les grands événements. Mais l’ambition de l’auteur est autre et dès la première page il instille le poison d’un rêve dérangeant. A partir de là tout se dérègle, le beau Numa entre au couvent, une humanité ambigüe joue un étrange ballet autour de l’héroïne qui s’enfonce dans une déchéance mentale tissée de convulsions que l’auteur veut obsédantes et destructrices… Ce roman rose cahote entre le rêve terrifiant, la tentation de l’inceste, le vécu marginal de l’homosexualité dans ce que l’auteur croit être une descente aux enfers. Cela culmine avec la naissance d’un petit garçon – héros du volume II ? - fruit de ce déshonneur suprême : « fille j’étais enceinte et portais en mon sein un bâtard » ! Il ne reste plus à Emilie qu’à se concocter une fin racinienne dans un grand jaillissement d’écume ! Ce roman là est celui de la faute et de la damnation, il met en scène une humanité réprouvée qui a introgéré les sens de la damnation ; mais n’est pas Bernanos qui veut et l’on bricole ici un jansénisme en kit, sur fond de symbolisme désuet, de héros laborieusement coupables, méticuleusement suicidaires, mâchant et remâchant les malheurs, tatillons observateurs de leurs propres dérives ou s’enflammant pour un symbolisme factice. Ici on prend la lyre et le tocsin à tout instant et l’on vit sur un mode outrageusement grossi des événements dérisoires. L’époque il est vrai est celle de bien des archaïsmes. Archaïsme aussi de la vision de la Corse qui offre à cette histoire ses voiles de deuil (« dans ce pays les deuils se portent pour le moindre parent et sont si longs qu’avant la fin de l’un un autre a déjà commencé »). Ses moeurs austères et bucoliques « des chasseurs coucheraient dans les villages de bergers au coeur du désert. Ils y allumeraient des feux puissants où ils feraient rôtir leur chasse, boiraient dru, fumeraient la pipe et perceraient la nuit de chants gutturaux et dissonants. ») Sa langue qui n’est qu’un « dialecte » incompréhensible. Et sa mer « une mer bleue, un jour marine, un jour ciel, un jour acier, aujourd’hui turquoise, plus tout à fait bleue, bleu vert, presque vert »… ! « Un mur couleur d’espérance cela peut-il exister ? » se demande l’héroïne ; attendons le volume deux pour le savoir.

M-H.F

Pierre-Alain Mayol. Valle di Paraso. Gunten ed. 290 p. 20€

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