Monseigneur Brunin a remis à l’endroit une Eglise de Corse qui en avait bien besoin. Son successeur trouvera une maison à nouveau respectable, en bon ordre et en capacité d’aller de l’avant.
La nouvelle est tombée il ya quelques jours. Monseigneur Brunin ne sera plus évêque de Corse dans quelques semaines. En septembre, il remplacera l’actuel évêque du Havre atteint par la limite d’âge. Il s’agira d’une grande perte pour la Corse. Monseigneur, nous ne pourrons que vous regretter. Bien sûr, nous vous souhaiterons bon vent et beaucoup de réussite, et nous réjouirons pour les 428 000 âmes du grand port normand. Mais cela ne nous consolera pas car, en sept ans, vous avez remis à l’endroit une Eglise de Corse qui en avait bien besoin. Votre successeur trouvera une maison à nouveau respectable, en bon ordre et en capacité d’aller de l’avant. En premier lieu, vous avez su ramener de la rigueur dans la gestion financière et immobilière (réalisation d’un inventaire des biens immobiliers) du diocèse. Il en avait bien besoin. Le fidèle en venait à s’interroger sur la destination de l’argent qu’il versait au denier de l’église et lors des offices. Il était devenu difficile d’identifier et d’évaluer le patrimoine immobilier et sa destination, ce qui n’incitait guère aux dons et legs. Le doute et les interrogations étaient renforcés par la révélation de malversations qui, faute de lisibilité et de contrôle rigoureux des comptes, avaient duré près de deux décennies. Chacun se souvient qu’au détriment de l’association diocésaine chargée de gérer les biens de l’Eglise de Corse, des gestionnaires indélicats avaient détourné deux millions d’euros (dons de fidèles, participation financières à des voyages à caractère religieux, loyers de locaux appartenant à l’Eglise, captation de legs). Dès votre arrivé, en juillet 2004, vous avez entrepris de passer le balai. Les comptes ont été audités, les détournements mis au jour et la gestion comptable placée sous le signe de la sincérité.
Compréhension de l’âme corse
Monseigneur, vous avez aussi mis fin à des libertés prises avec la discipline ecclésiastique et l’exercice des sacerdoces. Cela n’a pas été facile. A Corte et Ajaccio, s’étant accoutumés à ne plus rendre de comptes à personne et jouissant d’un réel rayonnement au sein du peuple de Dieu, les serviteurs de l’Eglise concernés ont montré les dents et résisté. Il s’est d’ailleurs trouvé des fidèles et des prêtres pour les soutenir. Quant aux médias, ils n’ont pas manqué de donner un grand retentissement à ces événements. Mais vous avez tenu bon et avez fini par obtenir gain de cause. Cependant, dans une île où les tempéraments sont d’un naturel frondeur et se révèlent souvent rétifs à l’autorité venue d’ailleurs (ce qui n’est pas au demeurant fondamentalement regrettable !), la détermination n’aurait pu suffire. A la manifestation d’une grande autorité, vous avez très opportunément ajouté une compréhension de l’âme corse et une action pastorale qui ont assis l’acceptation de votre action et lui ont même conféré une solide légitimité. Votre passé de prêtre ouvrier du côté de Roubaix, au cœur d’un prolétariat du Nord durement affecté par la désindustrialisation, a très probablement forgé votre intransigeance en matière de probité des serviteurs de Dieu et de sobriété de leurs trains de vie. Ce passé au contact de populations ouvrières ayant une tradition de respect des règles et de dignité face aux difficultés de la vie, a sans doute aussi déterminé votre sens de l’écoute et de la compassion qui n’a jamais dérivé vers la commodité démagogique ou le caritarisme infantilisant. Votre savoir de professeur de théologie et votre pédagogie de supérieur du séminaire interdiocésain de Lille-Arras-Cambrai, vous ont par ailleurs permis de contenir, sans jamais fléchir, les assauts de vos détracteurs.
Mobilisation des bonnes volontés
Enfin, Monseigneur, tout en veillant à une grande rigueur évangélique, vous avez su revitaliser ouvrir l’Eglise de Corse. Cette action pastorale s’est traduite par une mise en garde constante contre les phénomènes de dévotion à quelques ministres du culte aussi charismatiques et estimables qu’ils aient pu être. Vous avez aussi combattu les pratiques frisant la superstition ou l’idolâtrie. Enfin, vous ne vous êtes pas enfermé dans le confort et les certitudes d’un traditionalisme laissant croitre que la Corse, jadis terre vaticane, restait un bastion du catholicisme. Au contraire, conscient du recul de la croyance en Dieu et de la pratique religieuse, vous avez œuvré à mobiliser des bonnes volontés et à redonner aux catholiques de Corse la fierté de vivre et faire connaître leur foi. En ce sens, vous avez initié les communautés ecclésiales et les avez armées d’un Projet pastoral qui leur permet de définir et mettre en œuvre des initiatives missionnaires à destination d’un monde rural souvent en manque de prêtres résidents, ou de populations urbaines ignorant quasiment tout de la catéchèse. Monseigneur, votre projet de bâtir une Eglise de Corse dynamique associant la rigueur évangélique du prêtre et la force ecclésiale est désormais sur les rails. Reste à espérer que votre successeur s’attachera à emprunter la même voie.
Pierre Corsi