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L’urgence peut attendre

jeudi 28 juillet 2011, par Journal de la Corse

Loin de moi l’idée de contester l’ordonnance prononcée par un magistrat. En revanche, on peut s’interroger sur l’adaptation de celle-ci aux réalités, sur son caractère pédagogique et sur son impact moral.

Se référant aux dispositions de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative relatives au prononcé en urgence de mesures conservatoires, et agissant au titre de propriétaire des lieux, la CAB (Communauté d’Agglomération de Bastia) avait demandé la cessation d’aménagements entrepris par la société anonyme sportive professionnelle Sporting Club de Bastia dans l’enceinte du stade Armand Cesari à Furiani. Par une ordonnance du mercredi 21 juillet, le juge des référés du tribunal administratif de Bastia a rejeté la requête de la CAB. Le juge des référés a motivé sa décision en estimant que l’urgence, une des conditions nécessaires pour obtenir la mesure sollicitée, n’était pas remplie.

Ni danger, ni gêne, mais…

Pour fonder son ordonnance, le magistrat a d’abord fait valoir que les aménagements contestés par la CAB - la suppression de la clôture de l’enceinte du stade sur une longueur de 22 mètres et l’édification d’une plateforme devant supporter une structure démontable servant de boutique et de billetterie – ne portait pas atteinte à la sécurité. Selon lui, le passant lambda ne risquait rien du fait de trois situations : les aménagements étaient suffisamment éloignés des tribunes et du terrain de jeu ; le chantier était fermé au public par une grille métallique supportée par des blocs de béton apposée en lieu et place de la clôture existante ; à la suite des visites de la Commission départementale de sécurité et de la Commission des stades de la ligue professionnelle de football, aucune observation concernant la sécurité n’avait été faite. Le magistrat a aussi considéré que la CAB n’apportait pas la preuve que les aménagements réalisés pouvaient compromettre le déroulement du chantier effectué pour son compte sur la tribune Nord du stade, car ils étaient de peu d’importance et éloignés de cette partie du stade. Loin de moi l’idée de contester cette ordonnance prononcée par un magistrat aussi éminent qu’intellectuellement honnête, féru et imprégné de droit public, et ayant très certainement une juste lecture des textes et jurisprudences. En revanche, on peut s’interroger sur l’adaptation aux réalités, le caractère pédagogique et l’impact moral de ladite ordonnance.

Que le plaignant passe son chemin !

D’abord, estimer qu’il n’y avait pas urgence à faire cesser les travaux et, éventuellement, remettre en état le site, a davantage relevé de l’interprétation que de la certitude absolue En effet, l’ordonnance semble éluder que, très souvent, un accident intervient dans des circonstances qui n’avaient pas été envisagées. Ce qui avait interdit de le prévenir… Or l’éloignement relatif ou une clôture de fortune n’ont jamais constitué une protection absolue contre l’intrusion accidentelle ou volontaire sur un chantier. De plus, comment ne pas penser que laisser sa part à l’imprévisible ou à l’imprévu, est plutôt malvenu au su des événements tragiques ayant rendu tristement célèbre le stade Armand Cesari ? Il convient aussi de remarquer que ne pas retenir l’urgence, peut représenter une incitation à l’état de fait. Il ressort en effet qu’un propriétaire et plaignant lésé et ayant droits et titres mais ne pouvant prouver l’urgence, n’aurait qu’à passer son chemin, en attendant qu’un jugement sur le fond lui donne raison. De quoi faire croire à tout un chacun que prendre des libertés avec le droit peut relever de la belle opportunité, et qu’avoir confiance en la Justice expose à se faire longtemps rouler dans la farine. Enfin, au plan de la morale, il est pour le moins regrettable qu’un public mal informé, en prenant connaissance d’une ordonnance déboutant un plaignant au prétexte qu’il n’y aurait pas urgence, puisse croire que ce dernier était de mauvaise foi et n’était pas confronté à une violation de ses droits.

Alexandra Sereni

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