Les termes de l’échange
« Dans la solitude des champs de coton » de Bernard-Marie Koltès, pièce dense. Multiple. Surprenante. Formellement hors des sentiers battus et rebattus. Bref, une entreprise périlleuse pour un metteur en scène mais un défi nécessaire. Bienfaisant, d’autant que le spectacle est bilingue ce qui ajoute à la complexité et à la singularité.
Atout majeur, le texte de Koltès nous emporte loin des futilités puériles et des pantalonnades. Certes la période actuelle est anxiogène mais le remède adéquat est-il à rechercher dans la rigolade complaisante ? La culture peut-elle se dissoudre dans le loisir pur et simple comme capsule effervescente dans l’eau ? Il est des responsables culturels qui devraient se poser cette question surtout quand ils ont la prétention de conduire en la matière des politiques novatrices ! Avec « Dans la solitude des champs de coton » Koltès nous propose une longue réflexion sur les rapports entre les hommes. Cette ample réflexion se décline sur toutes les acceptions du mot commerce. De la plus triviale à la plus élevée. De la plus banale à celle qui est issue salvatrice aux tentions et aux confrontations. Offre/demande. Achat/vente. Désir/indifférence. Pourparlers/querelle. Négociation/dispute. Affinité/hostilité. Oppositions et contraires s’articulent dans un processus dialectique où les avancées coïncident avec les reculs, et où l’échange entre les deux personnages (le dealer et le client) peut être interchangeable de façon si troublante qu’il devient encore plus inquiétant. Rôles commutables. Emplois substituables. Quel jeu joue-t-on au sein de la société ? Jusqu’où est-on prêt d’aller pour convaincre ou faire prévaloir ses intérêts et ses avis ? Le commerce avec les autres débouche-t-il sur des relations pacifiées faute d’être d’emblée paisibles et harmonieuses ? Va-t-il se conclure par la guerre ? La réponse appartient à chacun de nous, même si pour Koltès elle est d’un pessimisme désespéré. Autre caractéristique du spectacle monté et mise en scène par François Bergoin : le bilinguisme. Le corse pour le client. Le français pour le dealer. Là, le challenge est aussi de taille, et exige rigueur et inventivité pour que les univers sonores des deux langues s’imposent à l’évidence. Dans son interprétation du dealer, Xavier Tavera apporte intelligence et conviction nerveuse et juste. Intéressant travail de la troupe bastiais. Un petit bémol cependant : pourquoi cette chorégraphie finale qui amoindrit, amollit, émousse la percutance de l’interrogation ultime que lance le dealer au client ?
Michèle Acquaviva-Pache